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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/193

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

l’avons imitée, elle, l’Europe, depuis deux cents ans, jaloux de nous égaler aux Européens, et qu’en la sauvant nous nous sauverons nous-mêmes.

Et ne sommes-nous pas bien mal préparés à trancher de pareilles questions ? Ne sommes-nous pas bien déshabitués d’apprécier sainement notre rôle vrai en Europe ? Non seulement nous ne comprenons plus de telles questions, mais nous ne les croyons plus possibles. Si vraiment l’Europe nous appelle à son secours, c’est alors, tout à coup, que nous verrons combien nous lui ressemblons peu malgré nos rêves deux fois séculaires et notre furieux désir de nous européaniser. Il se peut aussi que nous ne comprenions même pas ce que l’Europe exigera de nous, que nous ne sachions comment l’aider. Irons-nous alors écraser l’ennemi de l’Europe et de son « ordre de choses » en nous servant des procédés du prince de Bismarck, pacifiant par le fer et par le sang ? Ah ! c’est pour le coup, après un tel exploit, que nous pourrons nous féliciter d’être devenus de vrais Européens !

Mais tout cela, ce n’est que dans l’avenir, tout cela c’est de l’imagination, car à présent l’horizon est clair, — si clair !