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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

l’instruction. Elles m’ont beaucoup intéressé en m’apprenant que la mortalité des enfants en bas âge était incomparablement moindre chez elles qu’au dehors, dans les familles. On ne peut malheureusement dire la même chose au sujet des enfants envoyés à la campagne. Enfin, j’ai vu la chambre du rez-de-chaussée, où les mères apportent leurs nouveau-nés. J’ai examiné tout particulièrement les petits qu’on allaite et j’ai eu cette impression absurde qu’ils étaient vraiment bien insolents. J’en ai ri, à part moi : mais voilà un gamin né n’importe où, qu’on apporte ici et qui crie, vocifère, nous prouve qu’il a des poumons solides et veut vivre, gigote, hurle maintenant, comme s’il avait le droit de nous assourdir ainsi ! Il cherche le sein comme s’il avait droit au sein et aux soins comme les enfants qui sont dans leur famille. Oui, il se figure que tout le monde va se précipiter pour le servir. L’insolent petit être ! On a toujours envie de lui demander s’il se prend pour un fils de prince. Et, après tout, qu’y aurait-il de si étonnant à ce qu’il fût fils de prince ? Il en vient de partout. Il en tombe même des fenêtres. Parlez-moi pour rabaisser le caquet de ces gaillards-là de cette paysanne qui, agacée des glapissements d’un mioche laissé par la première femme de son mari, mit la main du petit sous le bec d’un samovar plein d’eau bouillante, après avoir tourné le robinet ! Oh ! l’enfant cessa net ses hurlements ! Je ne sais pas comment les juges ont traité cette femme résolue, ni même s’ils l’ont jugée. En tout cas, n’est-elle pas digne de la plus grande indulgence ? C’est que ces affreux moutards vous donneraient des attaques de nerfs avec leurs piaillements ! Surtout à de pauvres femmes accablées de misères et de travaux de blanchissage ! Certaines mères, oui, parfaitement, des mères, ont trouvé, pour apaiser leurs enfants, des moyens moins brutaux… Une demoiselle intéressante et sympathique entre dans un water-closet, s’évanouit, — ne se souvient plus de rien, — mais, sans qu’on sache comment, on trouve plus tard un enfant noyé, — dans quel liquide ! Un enfant jeté là, sans doute parce qu’il était trop bruyant ! N’est-il pas plus humain de noyer un petit être que de lui brûler la main à l’eau bouillante ?