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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

excellence, non qu’elle crût à la divinité du Christ. Cette Française n’eût pas admis que la glorification du Christ eût en soi assez d’efficacité pour conférer le salut, concept qui est à la base de la foi orthodoxe. Mais la contradiction est ici dans la terminologie plus que dans l’essence, et je maintiens que George Sand aura été une des grandes sectatrices du Christ.

Son socialisme, ses convictions, ses espoirs, elle les a fondés sur sa foi en la perfectibilité morale de l’homme. Elle avait, en effet, de la divinité humaine, une haute notion, qu’elle exaltait de livre en livre, et ainsi s’associait-elle par la pensée et par le sentiment à l’une des idées fondamentales du christianisme. Je veux dire au principe de libre arbitre et de responsabilité. D’où sa nette conception du devoir et de nos obligations morales. Peut-être, parmi les penseurs ou écrivains français, ses contemporains, n’y en a-t-il pas un qui ait compris aussi fortement que « ce n’est pas de pain seulement que l’homme a besoin pour vivre ». Quant à sa fierté, à ses exigeantes revendications, je répète qu’elles n’excluaient jamais la pitié, le pardon de l’offense, voire une patience sans bornes, qu’elle avait trouvée dans sa pitié même pour l’offenseur. George Sand a, maintes fois, célébré ces vertus dans ses œuvres et a su les incarner dans des types. On a écrit d’elle que, mère excellente, elle a travaillé assidûment jusqu’à ses derniers jours et que, amie sincère des paysans de son village, elle fut aimée d’eux avec ferveur.

Elle tirait, paraît-il, quelque satisfaction d’amour-propre de son origine aristocratique (par sa mère elle se rattachait à la maison de Saxe), mais, bien plus qu’à ces naïfs prestiges, elle était sensible, il faut le dire, à cette aristocratie vraie dont le seul apanage est la supériorité d’âme.

Elle n’eût su ne pas aimer ce qui était grand, mais elle était peu apte à percevoir les éléments d’intérêt que recèlent les choses mesquines. En cela, elle se montrait peut-être trop fière. Il est bien vrai qu’elle aimait peu à faire figurer dans ses romans des êtres humiliés, justes mais passifs, innocents mais maltraités, comme on en voit