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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dans presque toutes les œuvres de ce grand chrétien de Dickens. Loin de là. Elle campait fièrement ses héroïnes et en faisait presque des reines. Elle aimait cette attitude de ses personnages et il convient de remarquer cette particularité. Elle est caractéristique.


II


MON PARADOXE


Nous voici, de nouveau, menacés d’un choc avec l’Europe. Ce n’est pas encore la guerre. On est, pour l’instant, bien peu disposé, — ou plutôt disons que la Russie est bien peu disposée à la guerre. C’est toujours cette sempiternelle question d’Orient qui revient à l’horizon. Une fois de plus l’Europe regarde la Russie avec méfiance. Mais pourquoi essayerions-nous de faire la chasse à la confiance, en Europe ? Quand — à quelle époque — l’Europe nous a-t-elle épargné les soupçons ? Peut-elle seulement ne pas douter de nous et penser à nous sans un sentiment hostile ? Certes son opinion changera un jour ou l’autre ; elle en viendra à nous comprendre, et mon désir est de causer bientôt de cela longuement, — mais, en attendant, une question secondaire, une question à côté surgit dans mon esprit, — une question à laquelle je serais anxieux de répondre. Il est très possible que personne ne soit de mon avis, mais il me semble que j’ai raison, au moins jusqu’à un certain point.

J’ai dit qu’on ne nous aime pas en Europe, nous autres, les Russes, et c’est un fait que personne ne désirera nier. On nous accuse surtout d’être des « libéraux » terribles et même des révolutionnaires. On a cru constater que nos sympathies allaient plutôt aux « démolisseurs » qu’aux conservateurs européens. C’est pour cela qu’on nous considère là-bas plutôt ironiquement, non sans une