Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

vindicatif et miséricordieux, magnanime et quelquefois ridicule. Il a écrit certains contes auxquels les jeunes filles bien élevées et morales auraient tort de rêver. Il nous a raconté sa vie, ses ruses d’amour ; souvent il semblait nous mystifier. Était-il sérieux, se moquait-il de nous ?

Nos fonctionnaires le savaient par cœur et jouaient aux Méphistophélès en sortant de leurs ministères. Parfois nous n’étions pas d’accord avec lui : il ne pouvait, du reste, s’accorder longtemps avec personne.

Il disparut, s’enfuit au loin et périt quelque part assez misérablement…

Plus tard nous eûmes Stchédrine et Rosenheim… Je me souviendrai toujours de l’apparition de Stchédrine au Messager russe. C’était un joyeux temps, alors, et plein d’espoir. Comme M. Stchédrine choisit bien son moment pour apparaître au Messager russe ! Du coup les abonnés du journal augmentèrent au point qu’on ne pouvait plus compter. Avec quelle avidité nous lûmes les Écorcheurs, l’histoire du lieutenant Jivnovsky et de Porfiri Petrovitch ! « Où sont-ils donc ? » nous demandions-nous. Il est vrai que les véritables écorcheurs riaient sous cape. Mais ce qui nous frappa le plus ce fut qu’à peine M. Stchédrine avait-il quitté la Palmyre du Nord (d’après l’éternelle expression de M. Boulgarine, paix à son âme !) que parurent les Arinouchki, la Nourrice de Kroutogorsk et l’ermite, la Petite Mère Marie Kousmovna ; et tous ces récits brillaient d’un éclat étrange et bizarre, comme si la Palmyre du Nord avait à peine le temps d’observer tous ces Arinouchki et de s’élancer sur une voie nouvelle en oubliant George Sand, les Annales de la Patrie, M. Panaïev, et tout le monde. Nous en étions à la période auto-accusatrice.

La lyre de Rosenheim résonna, sonore ; la basse profonde de M. Gromeka retentit ; les frères Méléante firent leur splendide apparition. Ne pensez pas, messieurs les Européens, que nous omettions Ostrowsky ; mais nous parlerons de lui plus tard et ailleurs. Il n’appartient pas à la littérature auto-accusatrice, mais ne croyez pas que nous craignions la publicité ; mais nous n’imitons pas les Annales