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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dans la vie après eux, il les haïssent ou les regardent du haut de leur grandeur.

Parmi ces gens de la médiocrité dorée, il se trouve un assez grand nombre d’arrivistes, d’exploiteurs qui se hâtent d’enfourcher le dada à la mode. Ce sont eux qui vulgarisent, qui trivialise tout, qui changent toute pensée originale en rabâchage en vogue. Mais ce sont eux aussi qui en recueillent les bénéfices, au lendemain de la mort de l’homme de génie qui a eu l’idée, du créateur qu’ils ont persécuté. Il y en a, parmi eux, de si bornés qu’ils en viennent à croire que l’homme de génie n’a rien fait et qu’eux seuls ont tout trouvé. Leur amour-propre, nous l’avons déjà dit, est féroce, et ils savent prouver à la foule, qu’obtus et maladroits comme ils sont, ils ont le monopole de l’esprit. Incapables de comprendre la structure d’une idée, ils portent préjudice à celle qu’ils défendent momentanément même quand ils y ont une foi sincère.

Supposons, par exemple, qu’un débat surgisse entre penseurs et philanthropes. Il s’agira, si vous voulez, de l’amélioration du sort de la femme dans la société, de ses droits, de sa défense contre le despotisme du mari. Les messieurs de l’aurea mediocritas vont comprendre que l’institution du mariage doit être immédiatement abolie ; que, de plus, chaque femme non seulement peut, mais doit être infidèle à son mari ; que c’est là l’amélioration de sort rêvée.

Où ces messieurs sont d’un ridicule charmant, c’est quand, aux époques de transition, dans les périodes troublées, la « société » se divise en deux camps au sujet d’un principe quelconque. Alors ils ne savent plus où donner de la tête, ni à quelle conviction se vouer. Et ils ont un public qui les croit des oracles. Il faut parler. Après des hésitations sans nombre, ils se décident enfin, et c’est presque invariablement pour ce qui est le moins sensé. C’est même leur caractéristique. Certaines de leurs décisions se transmettent de génération en génération, comme des modèles d’imbécillité.

Mais nous nous écartons de notre sujet. Ce n’est pas seulement la publicité que l’on persécute aujourd’hui : on en