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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

besoin qu’il a de l’instruction. Si on ne sait pas lui démontrer ce besoin, il ne verra dans les mesures que l’on prendra pour l’obliger à se dégrossir que de nouveaux moyens d’oppression.

Je crois, moi, que le peuple est parfaitement mûr pour l’instruction, qu’il la désire même déjà peut-être ; en tout cas, ce désir existe chez de nombreux membres des classes populaires. Donc, l’instruction se répandra malgré les efforts de certains philanthropes.

Regardez les écoles du dimanche. Les enfants y viennent à qui mieux mieux s’instruire, parfois même en cachette de leurs maîtres. Les parents amènent d’eux-mêmes leurs enfants chez l’instituteur : Oui, mais malgré cela, et malgré les études de quelques penseurs, nous connaissons encore très mal notre peuple. Nous sommes bien certains qu’il y a dix ou douze ans, les hommes d’« avant-garde » n’auraient jamais voulu croire que le peuple, un jour, demanderait la fondation de sociétés de tempérance et remplirait les salles d’école, le dimanche. Mais ce peuple, notre société plus éclairée le connaîtra chaque jour davantage et bientôt résoudra l’énigme de ce « sphinx encore non deviné », comme l’a dit récemment l’un de nos poètes. Elle comprendra l’élément national et s’en imprégnera. Elle sait déjà qu’il est nécessaire d’aller vers les classes déshéritées, que c’est avec elle seulement que nous pourrons travailler pour de bon à notre développement futur. Elle n’ignore pas que c’est à elle de faire le premier pas et elle le fera.


V


Tout dépend justement de ce premier pas. Il est indispensable de trouver des paroles que le peuple entende afin de le décider à tourner vers nous son visage encore méfiant. Oh ! je sais que je vais faire rire bien des gens ! Ils sont légions, mais ils ne m’intéressent guère.