Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


À ce propos l’un d’eux a affirmé que notre journal avait entrepris de réconcilier « l’élément national » avec la « civilisation ». Je pense que cette assertion n’est qu’une aimable plaisanterie.

Notre journal s’adresse à un public instruit, parce que c’est à la société instruite de dire le premier mot et de faire le premier pas. Nous savons que l’on n’a rien écrit jusqu’à présent pour le peuple et applaudirions à toute tentative qui aurait pour but de lui fournir de saines lectures : mais nous n’avions jamais pensé à consacrer ce journal à l’instruction populaire.

Revenons au fait. Nous croyons que c’est à la classe instruite à faire le premier pas dans le chemin nouveau. C’est elle qui s’est tout d’abord éloignée de l’élément national. Il y aura beaucoup d’efforts à accomplir pour opérer le rapprochement et nous ne savons encore comment nous y prendre. Mais tout malentendu s’écarte à l’aide de la franchise, de la loyauté, de l’amour. Nous commençons, du reste, à comprendre que l’intérêt de notre classe se confond avec l’intérêt du peuple. Si cette vérité se généralise la solidité de l’œuvre prochaine y gagnera beaucoup.

L’homme peut se tromper. Erreur n’est pas compte. Que ceux qui veulent le rapprochement fassent maintes erreurs s’il le faut ; le principal, c’est que le peuple voie le désir sincère d’union intime avec lui. Si un essai manque son but, un autre l’atteindra. L’essentiel est que toutes les tentatives soient faites dans un grand esprit de franchise et d’amour. L’amour est plus fort que toutes les manœuvres et les ruses. Le peuple est perspicace ; il est aussi reconnaissant. Il verra bien qui l’aime. Dans la mémoire du peuple ne restent que ceux qu’il aima.

La preuve que ce rapprochement est indispensable, c’est que l’Empereur nous a donné l’exemple en écartant tous les obstacles. ― Pendant un siècle et demi le peuple n’a que trop appris à se défier de nous : ― Rappelez-vous la fable : Ni le vent ni la pluie ne réussirent à enlever au voyageur son manteau ; le soleil y parvint en un moment. ― Beaucoup de malheurs résultent des malentendus, des choses mal expliquées : la parole dite à moitié a toujours