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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

bien, elle le connaissait, elle le savait toujours chargé à cause de ma caisse. Parce que, chez moi, je ne veux ni chiens de garde monstrueux, ni valets géants, comme celui de Moser, par exemple. C’est la cuisinière qui ouvre à mes clients. Toutefois, une personne de notre profession ne peut rester sans un moyen de défense quelconque. D’où le revolver. Elle le connait, ce revolver, ma femme ; retenez bien cela ; je lui en ai expliqué le mécanisme, je l’ai même fait une fois tirer avec à la cible.

Elle demeurait très inquiète, je le voyais bien, debout, sans songer à se déshabiller. Au bout d’une heure, pourtant, elle se coucha, mais toute vêtue, sur un divan. C’était la première fois qu’elle ne partageait pas mon lit. Notez encore ce détail.

VI


UN SOUVENIR TERRIBLE


Je m’éveillai vers huit heures le lendemain matin. La chambre était très claire ; je vis ma femme debout, près de la table, tenant à la main le revolver. Elle ne s’aperçut pas que j’étais éveillé et que je regardais. — Tout à coup elle s’approcha de moi, tenant toujours le revolver. Je fermai vite les yeux et feignis de dormir profondément.

Elle vint jusqu’au lit et s’arrêta devant moi. Elle ne faisait aucun bruit, mais « j’entendais le silence ». J’ouvris encore les yeux, malgré moi, mais à peine. Ses yeux rencontrèrent mes yeux, que je refermai vite, résolu à ne plus bouger, quoi qu’il dût m’advenir. Le canon du revolver était appuyé sur ma tempe. Il arrive qu’un homme endormi ouvre les paupières quelques secondes sans s’éveiller pour cela. Mais qu’un homme éveillé re-