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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

obscure et obtuse. Je compris ce que mon orgueil avait de diabolique. Ce fut tout d’un coup que cela arriva, que cela arriva un soir, vers cinq heures, avant le dîner.

II


LE VOILE TOMBE SUBITEMENT


Il y a un mois, je remarquai chez ma femme une mélancolie plus profonde qu’à l’ordinaire. Elle travaillait assise, la tête penchée sur une broderie, et ne vit pas que je la regardais. Je l’examinai avec plus d’attention que je ne le faisais d’habitude et fus frappé de sa maigreur et de sa pâleur. J’entendais bien depuis quelque temps qu’elle avait une petite toux sèche, la nuit surtout, mais je n’y prenais pas garde… Mais ce jour-là, je courus chez Schréder pour le prier de venir tout de suite. Il ne put lui faire sa visite que le lendemain.

Elle fut très étonnée de le voir :

— Mais je me porte très bien, fit-elle avec un sourire vague.

Schréder ne sembla pas trop se préoccuper de son état (ces médecins sont parfois d’une négligence qui frise le mépris), mais quand il se trouva seul avec moi dans une autre pièce, il me dit que cela restait à ma femme de sa maladie, qu’il serait bon de partir au printemps, de nous installer au bord de la mer ou à la campagne. Bref, il fut ménager de ses paroles.

Quand il fut parti, ma femme me répéta :

— Mais je vais tout à fait bien, tout à fait bien…

Elle rougit et je ne compris pas encore de quoi elle rougissait. Elle avait honte que je fusse encore son mari, que je la soignasse comme un mari véritable. Mais, sur le moment, je ne saisis pas.

Un mois plus tard par un soir de clair soleil, j’étais