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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/350

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Quand j’écrivis ces choses, il y a deux mois, j’avais le plus grand désir de faire apporter, si cela était possible, quelque adoucissement à la peine de la Kornilova, mais je ne croyais guère y parvenir. Je ne cachais pas qu’à mon avis, après tant d’acquittements scandaleux de crimes prouvés, conscients et abominables, on aurait bien pu acquitter aussi la Kornilova. (Quelques jours à peine après la condamnation de cette malheureuse malade aux travaux forcés et à la déportation à vie en Sibérie, une meurtrière, la Kirilova était acquittée.)

Après avoir exposé le cas de cette pauvre femme, âgée de vingt ans, et arrivée à la dernière période de la grossesse, je me laissai aller à rêver à ce qui pourrait lui arriver. Vous vous rappelez que je la voyais déjà, peut-être, réconciliée avec son mari qui, malgré son droit absolu de se remarier quand il lui plairait, visitait, sans doute, la coupable dans sa prison. Je me figurais qu’ils pleuraient ensemble ; que la petite victime, oublieuse du crime de sa belle-mère, lui prodiguait ses caresses en toute sincérité. J’avais même été jusqu’à imaginer la scène de la séparation, dans la gare du chemin de fer. Selon moi, ils ne pouvaient point ne pas se pardonner mutuellement, non seulement parce que le sentiment chrétien devait les y pousser, mais encore parce qu’un obscur instinct pouvait leur dire que, peut-être, n’y a-t-il pas là crime du tout, rien qu’un acte involontaire, inexplicable, permis par Dieu pour le châtiment de leurs péchés.

Sous l’impression de ce que j’avais écrit, je fis tout mon possible pour voir la Kornilova, avant son départ de la prison. J’avoue que j’attachais un grand intérêt à savoir si je ne m’étais pas trompé dans mes imaginations de romancier. Et justement, une circonstance me permit d’aller visiter la Kornilova. Je fus tout surpris de voir que mes rêves s’étaient trouvés presque conformes à la réalité. Le mari vient bien lui rendre visite dans sa prison ; ils pleurent tout deux, se lamentent l’un sur l’autre, se pardonnent réciproquement. La fillette serait venue m’a dit la Kornilova elle-même, si elle n’était pas interne dans un pensionnat. Je ne pourrais pas raconter