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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

tout ce que j’ai appris sur cette malheureuse famille, — des volumes et des volumes. — Je me suis, certes, trompé sur quelques détails. Kornilov, bien que paysan, s’habille à l’européenne ; il est beaucoup plus jeune que je ne croyais ; il est employé dans mue imprimerie de l’État et reçoit des appointements relativement considérables, qui le font bien plus riche que je ne supposais. Quant à la femme, elle était couturière, continue à coudre dans sa prison et gagne aussi pas mal d’argent. Ils ne sont donc pas aussi préoccupés que je me le figurais, du « thé et du sucre pour le voyage »… Quand j’ai vu la Kornilova pour la première fois, elle venait d’accoucher, non pas d’un fils, mais bien d’une fille, quelques jours auparavant. Somme toute, mes erreurs ont été peu importantes ; le fond demeure vrai.

La Kornilova se trouvait, en raison de ses couches récentes, dans une section spéciale ; elle avait une chambre à part. Sur son lit, était l’enfant nouveau-né, qu’on avait baptisé la veille.

J’ai gardé une impression très consolante de cette section des femmes. Les relations des surveillantes avec les prisonnières étaient empreintes d’une grande bienveillance. J’ai vu plusieurs cellules, où des criminelles allaitaient leurs enfants. J’ai été témoin des soins et des égards qui leur étaient prodigués.

À ma première visite, j’ai passé vingt minutes avec la Kornilova. C’est une jeune femme d’aspect très agréable, au regard intelligent. Au début, elle semblait un peu étonnée de ma venue, puis elle comprit que je m’intéressais à elle et se montra tout à fait franche avec moi. Elle n’est pas très parleuse, mais ce qu’elle dit, elle le dit fermement, nettement ; on voit qu’elle est sincère ; rien de doucereux, d’insidieux, chez elle. Elle parlait avec moi, non comme avec un étranger, mais comme avec l’un des siens. Elle était encore sous l’influence de ses couches récentes et des émotions du jugement. Elle était excitée et se mit à pleurer en pensant à un témoignage mensonger que l’on avait fait sur elle. L’un des témoins lui prêtait, aussitôt après le crime, des paroles qu’elle affirme n’avoir jamais prononcées. Elle était