Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
401
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

aperçus économiques d’un caractère occidental ont été acceptés en même temps que de nouvelles doctrines politiques et une morale nouvelle. Enfin, la science mal comprise n’a pu que rendre suspectes les vieilles croyances. Des idées nationalistes apparurent aussi, qui amenèrent les chrétiens orientaux à craindre le joug russe après l’oppression turque. Mais dans notre grand peuple simple et religieux, dans notre peuple de tant et tant de millions d’âmes, l’espoir ne mourut jamais de délivrer, en Orient, l’église du Christ, prisonnière des Barbares. L’enthousiasme qui a soulevé toute la population russe l’été dernier l’a bien démontré. Je le sais, on ne veut pas que notre peuple puisse comprendre ses destinées politiques, sociales et morales. On laisse entendre que cette masse de moujiks, hier encore serfs, aujourd’hui abrutis par les alcools, ignore tout de sa religion et se moque un peu de la libération de l’orthodoxie. Qui dit cela ? Peut-être un pasteur allemand qui fait de la propagande sur la schtounda, ou bien un voyageur européen, correspondant d’un journal, ou bien encore un juif influent et instruit, de ceux qui ne croient plus en Dieu et sont légion chez nous, ou enfin, un Russe résidant à l’étranger et ne se figurant plus la Russie que sous les traits d’une mégère ivre, tenant son verre d’eau-de-vie à la main. Pas le moins du monde. Ce sont des membres de notre meilleure société russe qui ne soupçonnent pas que notre peuple, malgré ses vices, a mieux que tout autre peuple conservé en lui l’essence du plus pur christianisme. Ce peuple « corrompu et obscur » sait encore que l’homme humilié, injustement persécuté, sera élevé plus haut que les forts et les puissants. Il aime aussi à raconter l’histoire de son grand, chaste et humble héros chrétien : Ilia Mourometz, défenseur de la vérité, champion des faibles et des pauvres, ignorant de toute vanité, fidèle et de cœur pur. Vénérant et aimant un tel héros, comment notre peuple ne croirait-il pas au triomphe et au relèvement des nations d’Orient actuellement humiliées ? C’est au milieu de pauvres gens, que j’ai pour la première fois entendu narrer aux enfants la vie des humbles ermites et des martyrs chrétiens. Chaque année, des rangs du peuple un « Vlass » quel-