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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

conque se détache, qui distribue ses biens et s’en va vers la vérité, le labeur et la misère…

Mais nous reparlerons du peuple russe ; on finira par comprendre un jour, par savoir qu’il a une immense importance, que la Russie l’a toujours trouvé, aux minutes tragiques, prêt à se dévouer, qu’on n’a jamais pu se passer de lui, que la Russie n’est pas l’Autriche, — par exemple, — qu’aux moments graves de notre vie historique, c’est lui qui a parlé par la bouche des Tsars.

Mais je me suis détourné de mon but. Je reviens à Constantinople.


III


LES IDÉES LES PLUS CONFORMES AUX TEMPS PRÉSENTS


L’Église d’Orient et ses chefs ont vécu, pendant les quatre siècles de leur asservissement par les Turcs, en intime communion avec les idées de la Russie. Il n’y eut ni grands troubles ni grandes hérésies alors. Ce n’était pas le moment.

En ce dernier siècle, et surtout depuis la grande guerre d’Orient d’il y a une vingtaine d’années, il s’est répandu dans l’est de l’Europe une odeur putride, semblable à celle d’un cadavre en décomposition. L’homme malade est mort ou va mourir. S’il vit encore faiblement, c’est la Russie qui l’achèvera. Actuellement nous sommes les seuls qui nous intéressions aux chrétiens de l’Empire turc. Les peuples européens ne demanderaient pas mieux que de constater la disparition de ces chrétiens gênants. Mais hélas ! ces derniers semblent nous craindre autant qu’ils abominent les Turcs. « Soit, disent-ils, la Russie nous délivrera des Ottomans, mais ce sera pour nous absorber ; elle ne laissera jamais nos nationalités se développer en liberté. » C’est l’idée fixe qui empoi-