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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/441

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

… Pendant que je m’apaisais, le vacarme se calmait chez le capitaine. Les invectives grossières ne furent bientôt plus qu’un murmure. Les adversaires durent se coucher, s’assoupir…

C’est alors que je m’endormis dans mon fauteuil, ce qui ne m’arrivait jamais. Je dormis et je rêvai. Drôle de monde, n’est-ce pas, que celui des songes ? Quelquefois des tableaux se présentent à vous avec une minutie de détails incroyable… Il arrive au cours des rêves des choses mystérieusement incompréhensibles…

Mon frère est mort depuis cinq ans, et bien des fois, pendant mon sommeil, tout en me rappelant parfaitement qu’il est mort, je ne m’étonne pas du tout de le voir auprès de moi, de l’entendre parler de ce qui m’intéresse, d’être on ne peut plus certain de sa présence, sans oublier une minute qu’il est sous terre. Comment mon esprit s’accommode-t-il de ces deux notions contradictoires ?

Mais laissons cela. Je reviens à mon rêve de cette nuit-là. Je suis fâché que ce n’ait été qu’un rêve. En tout cas c’est un rêve qui m’a fait connaître la Vérité. Quand on a vu une fois la Vérité, on sait que c’est la Vérité ! Il n’y en a pas deux et elle ne change pas selon que vous veillez ou dormez. Je voulais quitter la vie par le suicide ? Eh bien mon rêve m’a prédit, m’a montré une nouvelle vie, belle et puissante, une vie de régénéré. Écoutez plutôt.


III


Je vous ai dit que je m’étais endormi à force de raisonnements sur ce qui me préoccupait.

Tout à coup je me vis en songe, saisissant le revolver et me l’appliquant, non sur la tempe, mais sur le cœur. J’avais pourtant bien résolu de me brûler la cervelle en posant la gueule du pistolet sur ma tempe droite. Je demeurai un instant immobile, le bout du canon de l’arme