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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/442

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

appuyé sur ma poitrine ; la bougie, la table et le mur se mirent à danser. Je tirai.

Dans les songes il vous arrive de tomber d’une hauteur, de vous voir égorgé ou tout au moins maltraité sans éprouver la mordre douleur physique, à moins qu’en faisant un mouvement vous ne vous blessiez réellement dans votre lit, ce qui est rare. Il n’en fut pas autrement dans ce rêve. Je ne souffris pas ; toutefois il me sembla que tout tremblait en moi. Les ténèbres se firent. Je me trouvai couché, la face tournée vers le plafond de ma chambre. Je ne pouvais faire un seul mouvement, mais autour de moi on s’agitait. Le capitaine parlait de sa voix de basse-taille, la patronne du logement poussait des cris aigus… et voilà que, sans autre transition, on me mit dans un cercueil que l’on referma. Je sentis que le cercueil était porté ; je fis quelques réflexions vagues à ce sujet, et tout à coup, pour la première fois, me frappa l’idée que j’étais mort, que je ne pouvais en douter, que je ne pouvais ni voir, ni bouger, ni parler, mais que je continuais à sentir et à raisonner. Je m’habituai très promptement à cette idée, comme il arrive toujours dans les songes où l’on accepte tout sans s’étonner.

Sans aucune cérémonie, on me mit en terre. Déjà tout le monde était parti. J’étais là, dans ma tombe, abandonné, oublié. Auparavant, quand je pensais à mon enterrement, bien loin dans le futur, je m’imaginais toujours éprouver une sensation de froid et d’humidité, une fois enfermé dans mon caveau. Ce fut bien ce que je ressentis alors ; mes pieds surtout étaient glacés.

Je n’attendais plus rien, admettant facilement qu’un mort n’a plus rien à attendre. Il se passa alors des heures, des jours, ou des mois…

… Mais, subitement, tomba sur mon œil gauche fermé une goutte d’eau qui avait traversé le couvercle du cercueil puis une seconde, puis une troisième…

En même temps s’éveillait en moi une douleur physiques : « C’est ma blessure, pensais-je, c’est le coup de revolver ; la balle est là !… »

Et la goutte d’eau tombait toujours, peut-être de minute en minute, et toujours sur mon œil. Je me mis,