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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
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servée. Objectez-moi que le peuple est sale, ignorant, barbare, moquez-vous sans indulgence de mon affirmation, raillez autant qu’il vous plaira ; mais, toute ma vie, j’ai eu la conviction que notre peuple est plus pur de cœur que nos classes élevées et qu’il n’a pas encore l’esprit assez confus pour chérir en même temps les idées les plus belles, les plus élevées et leurs antithèses les plus viles, comme le font nos intellectuels. Ces derniers appellent « richesse de développement » et « bienfaits de la civilisation européenne » ce qu’il conviendrait de qualifier de désarroi mental. Ils meurent d’ennui et de dégoût auprès de ces « bienfaisantes richesses », mais trouvent encore la force de plaisanter le peuple, encore indemne de culture européenne, au sujet de sa naïveté et des exigences de sa bonne foi. Mais j’aborderais là un sujet bien vaste. Je me contenterai de dire que le plus grossier homme de notre peuple aurait honte de telles ou telles pensées de certains hommes de culture supérieure. Je suis bien sûr que l’homme du peuple ne comprendrait pas et ne comprendra pas de sitôt qu’il soit loisible de faire des vilenies quand personne ne vous regarde « derrière la porte fermée », parce qu’il n’y a pas de témoins. Notre classe intellectuelle n’a pas de ces scrupules de conscience. Dans l’opinion du peuple, ce qui est vilain en compagnie est vilain derrière la porte. Et nous continuons à nous plaindre de la grossièreté du peuple. Au temps de ma jeunesse, le plus grand nombre des officiers étaient convaincus que le soldat d’extraction populaire, ne se complaisait qu’à dire des ordures. Partant de cette conviction, beaucoup de commandants, à l’exercice ou aux manœuvres, adressaient à leurs hommes des invectives si révoltantes que les soldats en rougissaient positivement, tâchaient d’oublier ces obscénités ou s’en indignaient plus tard s’ils y repensaient. J’ai été moi même témoin de ces choses. Quant aux commandants, ils étaient ravis de s’être si bien mis à la portée du soldat russe !

Gogol lui-même, dans sa « correspondance avec ses amis » conseille à un camarade de se servir des plus gros mots quand il aura à réprimander un paysan serf, même