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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

l’Allemagne ; toujours est-il que des penseurs généralement plus clairvoyants considèrent sa lutte contre la papauté comme le duel de l’éléphant et de la mouche. D’aucuns l’expliquèrent même par un de ces caprices propres aux hommes de génie. Mais la vérité est que le profond politique savait peut-être seul au monde, à quel point le principe romain était fort encore et combien il pouvait lui devenir fatal en servant de lien à tous les ennemis de l’Allemagne. Aucun des partis politiques de la France vaincue n’était de force à fonder un pouvoir stable. Il n’y avait aucune possibilité d’alliance entre ces partis qui avaient des buts opposés — et voici que le catholicisme leur fournit un drapeau commun et un terrain d’union. L’ennemi n’était déjà plus la France : c’était le Pape. Mais pour exposer plus clairement ce qui arriva, jetons un coup d’œil plus attentif sur le camp des adversaires de l’Allemagne.

V

LES FURIEUX ET LES FORTS


Le Pape se meurt, ou il mourra bientôt. Tout le catholicisme romain est dans les transes. Le moment fatal approche, et alors il ne sera plus permis de se tromper sous peine de voir périr l’idée romaine. Il peut se faire que, sous la pression des différents gouvernements de l’Europe, le Pape ne soit pas « librement élu » et qu’une fois nommé il se résigne à renoncer pour toujours à tout espoir de redevenir un souverain temporel. Pie IX, lui, n’y a jamais consenti ; à aucune époque il n’a abdiqué ses prétentions. On a pu lui arracher Rome et son dernier lambeau de territoire, ne lui laisser que le Vatican ; presque aussitôt il a proclamé son infaillibilité et soutenu cette thèse que sans pouvoir temporel, le Christia-