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Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/528

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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

combien nous vénérons les grandes races qui habitent cette Europe, et tout ce qu’elles ont fait de beau et de noble ? Ne croyez-vous pas que c’est avec serrement de cœur que nous suivons leurs destinés, et que nous voyons les nuages lugubres qui s’amassent contre elles à l’horizon ? Jamais, Russes « européens » et « occidentaux » vous n’avez autant aimé l’Europe que nous, les rêveurs slavophiles, nous, d’après vous, ses ennemis éternels ! Et nous craignons de nous heurter à elle parce qu’elle ne nous comprend pas ; nous craignons que, comme jadis, elle ne nous reçoive que l’épée tirée, nous considérant toujours comme des barbares indignes d’être écoutés. Oui, c’est nous qui demandons maintenant quelles preuves nous pourrons lui donner pour qu’elle croie en nous. Chez nous, en effet, il y a trop de chose qu’elle puisse comprendre, qui puissent lui inspirer de l’estime pour nous. Trop longtemps encore, elle méconnaîtra notre « parole nouvelle » qui commence à se faire entendre. Il lui faut à elle des faits déjà réalisés, compréhensibles pour son entendement d’à présent. Elle nous demandera : où est votre civilisation ? Entrevoit-on un ordre économique et social dans votre chaos ? Où sont votre science, votre art, où est votre littérature ?

VII

ANNA KARÉNINE, EN TANT QUE FAIT D’UNE SIGNIFICATION SPÉCIALE


Et voilà que ce printemps encore, j’ai, un beau soir, rencontré par hasard, l’un des écrivains de chez nous que j’aime le plus. Nous nous voyons très rarement, et nous retrouvons les plus souvent par hasard, dans la rue. C’est l’un des plus brillants des cinq ou six littérateurs que l’on désigne ensemble, je ne sais pourquoi, sous le nom