IV
Hamlet s’étonnait de voir les larmes de l’acteur qui, en déclamait son rôle, pleurait une « certaine » Hécube. Que lui importe cette Hécube ? demandait le prince. La question suivante peut se poser : Notre Nékrassov était-il, lui aussi, un acteur ? Était-il capable de pleurer ce dont il se priva lui-même, d’exprimer sa douleur en des vers d’une beauté immortelle et de se consoler le lendemain rien qu’en se délectant de la beauté de ses vers ? Envisageait-il ses admirables vers comme un moyen d’acquérir de l’argent et de la gloire ? L’angoisse du poète, au contraire, ne demeurait-elle pas aussi complète après s’être exprimée, peut-être même aggravée par ce qu’il y avait de vivant et de poignant dans sa poésie ? Il retombait à ses égarement, soit, mais acceptait-il d’un cœur paisible sa déchéance ? Ses gémissements et ses cris poétiques ne sortaient-ils pas plutôt de son repentir ? Ne voyait-il pas clairement ce qui lui coûtait le démon qui était en lui et de quel prix il payait ce qu’il recevait de cet ennemi ? Pouvait-il momentanément se réconcilier avec ce démon quand il voulait justifier son « esprit pratique » en en causant avec ses amis, ou même cette réconciliation n’était-elle pas complète et durable ? Ou plutôt ne souffrait-il pas plus encore après ces conversations et ne ressentait-il pas u redoublement de remords ? Comment résoudre ces questions ? Je crois qu’il ne nous resterait qu’à le blâmer de ne pas s’être donné la mort, puisqu’il n’était pas de force à vaincre ses passions. Mais de quel droit nous érigerions-nous en juges ? Cela serait assez ridicule !
Toutefois le poète qui a écrit :
Tu peux ne pas être poète,
Mais tu dois être citoyen,