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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

vont les affaires. On vous répondra : « Autrefois, pour les fêtes, chacun s’achetait au moins une demi-douzaine de chemises, maintenant on en vend une à la fois. » Demandez la même chose dans les restaurants à la mode, qui sont les derniers endroits où se manifeste la pauvreté d’un pays : « Ah ! vous dira-t-on, on ne fait plus la noce comme jadis ! Tout le monde s’est rangé. C’est beau quand on vient vous commander un dîner pour une personne ! » Les élégants naguère, ceux qui faisaient la fête, ont fini de manger l’argent des propriétés vendus. Ils abattent les dernières forêts et, quand il n’y aura plus d’arbres, ils n’auront plus le sou. Et où sont-elle maintenant, nos forêts ? Quand vous parcourrez le pays en chemin de fer, cherchez les bois ! Ce ne sont plus des arbres que l’on abat, ce sont des buissons et des arbrisseaux ! Cette préoccupation paraîtra fort puérile, si l’on songe aux graves questions qui requièrent l’attention du pays. Les financiers se moquent bien des forêts ! Pourtant sans forêts, les finances baisseront encore. Mais tout le monde semble s’être donné le mot pour glisser là-dessus. La catastrophe viendra, cependant, bien que tant de gens se tranquillisent en constatant que le bois est à haut prix sur le marché. Personne ne veut voir que la hausse provient de l’offre croissante de ceux qui abattent leurs forêts et même les baliveaux, parce qu’ils ont tout mangé.

Enfin, les appétits croissent à mesure que les forces diminuent. Le nombre des « capitaines Kopéïkine » va croitre singulièrement. Si tous nos mondains ne deviennent pas des brigands de grand chemin comme ce Kopéïkine, je crains que nous ne voyions augmenter terriblement l’armée des pick-pockets.

N’existe-t-il pas une certaine quantité de Kopéïkines libéraux ? Ils ont si bien compris que le libéralisme est à la mode et que l’on peut réussir dans ses rangs ! Tels libéraux ont les dents longues et deviennent dangereux. Ce sont ceux-là qui s’attellent le plus volontiers aux réformes imitées de l’étranger, et ceux qui croient les mener, ne sont certainement pas responsables de la conduite de semblables limoniers : « Tous les change-