Je suis bien fâché de m’être laissé entraîner à parler de faits personnels. Voilà ce que c’est que d’aller chercher ses souvenirs littéraires. Cela ne m’arrivera plus.
Cette fois, je feuillette le « Carnet » d’une autre personne. Il ne s’agit plus de moi, du tout ; il est question de quelqu’un dont je ne suis aucunement solidaire, et toute préface plus longue me paraît inutile.
Semion Ardalionovitch me dit avant-hier :
— Ivan Ivanitch, ne t’arrive-t-il jamais d’être ivre ?
Singulière question, dont, pourtant, je ne m’offensai pas. Je suis un homme placide que certaines gens veulent faire passer pour fou. — Naguère un peintre a désiré faire mon portrait. J’ai consenti à poser et la toile a été admise dans une exposition. Quelques jours après, je lisais dans un journal qui parlait de ce portrait : « Allez voir ce visage maladif et convulsé qui semble celui d’un candidat à la folie… » Je ne m’en vexai en rien. Je n’ai pas assez de valeur comme littérateur pour devenir fou à force de talent. J’ai écrit une nouvelle : on ne l’a pas insérée. J’ai écrit un feuilleton : on l’a refusé. J’ai porté ce feuilleton à beaucoup de directeurs de journaux : on n’en a voulu nulle part.
— Ce que vous écrivez manque de sel, m’a-t-on dit.
— « De quel genre de sel ? ai-je demandé un peu ironiquement. De sel attique ? »
On ne m’a pas compris du tout. Alors, le plus sou-