Page:Dostoïevski - L’Éternel Mari, trad. Nina Halpérine-Kaminsky, 1896.djvu/163

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prit, sans cesse, sous mille formes diverses… « Savez-vous ce que Lisa a été pour moi ? » Il se rappela ce cri de Trousotsky, et il sentit que ce n’avait pas été une grimace, que son déchirement était sincère, que c’était de la tendresse. « Comment ce monstre avait-il pu être si cruel pour l’enfant qu’il adorait ? Était-ce croyable ? » Mais toujours il écartait la question, et la fuyait, elle contenait un élément d’incertitude terrible, quelque chose d’intolérable, et d’insoluble.

Un jour, sans qu’il sût lui-même comment, il arriva au cimetière où Lisa était enterrée. Il n’y était pas venu depuis les obsèques : il lui semblait que la douleur serait trop forte, et il n’osait pas. Chose étrange, quand il se fut incliné sur la pierre qui la recouvrait, et qu’il l’eut baisée, il se sentit le cœur moins oppressé. C’était par une claire soirée ; le soleil descendait à l’horizon ; autour de la tombe poussait une herbe drue et verte ; tout près, une abeille bourdonnait, volant d’une églantine à l’autre ; les fleurs et les couronnes que les enfants de Klavdia Petrovna avaient laissées sur la tombe étaient encore là, à demi effeuillées. Pour la première fois depuis longtemps, une sorte d’espérance illumina son cœur. « Comme il fait