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Page:Dostoïevski - L’Éternel Mari, trad. Nina Halpérine-Kaminsky, 1896.djvu/97

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Vers la fin de la route, ses nerfs étaient apaisés, mais elle restait pensive, l’air sombre, sauvage et dur. Elle semblait cependant souffrir moins à l’idée qu’on la conduisait chez des inconnus, dans une maison où elle n’avait jamais été. Ce qui l’obsédait, c’était autre chose, et Veltchaninov le devinait : elle était honteuse de lui, elle était honteuse que son père l’eût abandonnée si facilement à un autre, qu’il l’eût comme jetée aux mains d’un autre.

« Elle est malade, songeait-il, très malade, peut-être ; on l’a trop fait souffrir… Ah ! l’ivrogne, l’être abject ! Je te comprends, maintenant !… » Il pressa le cocher. Il comptait, pour elle, sur la campagne, le grand air, le jardin, les enfants, le changement, une vie nouvelle ; et puis, après cela… Quant à ce qui arriverait, après cela, il n’y songeait pas le moins du monde ; il était tout entier à l’espérance. Il ne voyait qu’une chose : c’est que jamais il n’avait ressenti ce qu’il ressentait maintenant et que jamais, de toute sa vie, il ne l’oublierait ! « Le voilà, le vrai but de la vie ! la voilà, la vraie vie ! » pensait-il, tout transporté.

Les idées lui venaient en foule, mais il ne s’y arrêtait pas, se refusait à entrer dans les détails. Prises en gros, les choses étaient très