Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/101

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naïvement convaincus qu’en agissant de la sorte, ils font preuve d’humanité), ensuite la toilette (vous savez ce que c’est que la toilette d’un condamné à mort ?), finalement on le fait monter dans une charrette et on le conduit à l’échafaud… Lui aussi, je pense, s’est figuré, pendant le trajet, qu’il avait encore un temps infini à vivre. En chemin, sans doute, il devait se dire : « Il me reste trois rues à vivre, c’est encore long. Quand je serai arrivé au bout de cette rue-ci, j’en aurai encore une autre à suivre, et puis une troisième où il y a à droite une boutique de boulanger… Il se passera encore du temps avant que nous arrivions à cette boutique ». Autour de la charrette une foule bruyante, dix mille têtes, dix mille paires d’yeux, — il faut subir tout cela et, surtout, cette pensée : « Ils sont là dix mille et on n’exécutera aucun d’eux, c’est moi qui vais mourir ! » Eh bien, voilà pour les préliminaires. Un escalier donne accès à la guillotine, devant cet escalier le condamné se mit soudain à pleurer, et c’était un homme fort, un caractère énergique ; il avait été, dit-on, un grand scélérat. Le prêtre qui avait pris place à côté de lui dans la charrette ne le quittait pas d’un instant et lui parlait toujours : je présume que le malheureux ne l’entendait pas : il essayait probablement d’écouter, mais, dès le troisième mot, ne comprenait plus. À la fin, il commença à monter l’escalier ; les liens qui entravaient ses pieds l’obligeaient à faire de petits pas. L’ecclésiastique, un homme intelligent, sans doute, cessa ses exhortations et se contenta de lui donner continuellement la croix à baiser. Au bas de l’escalier le criminel était déjà très-pâle, mais lorsqu’il se trouva sur l’échafaud, son visage devint tout à coup blanc comme une feuille de papier. Assurément ses jambes fléchissaient sous lui et il avait mal au cœur comme si quelque chose le serrait à la gorge en lui donnant la sensation d’un chatouillement. C’est un phénomène qui se produit dans la frayeur, dans ces moments terribles où la raison subsiste tout entière, mais n’a plus aucun empire. Si, par exemple, votre perte est inévitable, si une maison va s’écrouler sur