Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/164

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accueillit aussi par des rires et des applaudissements le récit de son père.

— Et j’étais dans mon droit, j’avais trois fois raison ! poursuivit avec feu le général triomphant, — attendu que, s’il n’est pas permis de fumer en wagon, à plus forte raison il est défendu d’y introduire des chiens.

— Bravo, papa ! cria Kolia enthousiasmé : — c’est splendide ! Moi aussi, certainement, j’aurais agi de même ! Certainement !

— Mais la dame, comment a-t-elle pris cela ? demanda Nastasia Philippovna, impatiente de connaître la fin de l’aventure.

— Elle ? Eh bien, voilà justement où l’histoire devient vilaine, répondit en fronçant le sourcil Ardalion Alexandrovitch ; — sans dire un mot, sans le plus petit avertissement, elle me flanque un soufflet ! Une femme étrange !

— Et vous, qu’est-ce que vous avez fait alors ?

Le général baissa les yeux, releva les sourcils, haussa les épaules, serra les lèvres, écarta les bras, et, après un instant de silence, dit brusquement :

— Je n’ai pas pu me contenir !

— Et vous avez tapé fort ?

— Oh ! je vous assure bien que non ! Ç’a été un scandale, mais je n’ai pas frappé fort. Je me suis borné à me défendre, à repousser son attaque. Malheureusement cette affaire était un coup monté par Satan lui-même : la dame à la robe bleue se trouvait être une Anglaise, institutrice chez la princesse Biélokonsky, ou amie de la maison, et la dame en noir était l’aînée des kniajnas[1] Biélokonsky, une vieille fille de trente-cinq ans. Or on sait quelle intimité existe entre la générale Épantchine et cette famille. Ce sont des évanouissements, des larmes, on prend le deuil du bichon favori, les six kniajnas mêlent leurs gémissements à ceux de l’Anglaise, la fin du monde, quoi ! Bien entendu, je suis allé exprimer mes regrets, j’ai fait des excuses, j’ai écrit une lettre, mais on n’a

  1. Princesses non mariées.