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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/165

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voulu recevoir ni moi ni ma lettre. De là est résultée ma rupture avec les Épantchine et, finalement, mon expulsion du service !

— Mais permettez, comment cela se fait-il ? demanda tout à coup Nastasia Philippovna ; — il y a cinq ou six jours, j’ai lu dans l’Indépendance, — je lis régulièrement ce journal, — une histoire tout à fait pareille. Mais exactement la même ! Cela s’était passé dans un wagon, sur une ligne rhénane, entre un Français et une Anglaise ; il y avait aussi un cigare arraché des mains et un bichon jeté par la portière, enfin le dénouement était le même que celui de votre aventure. La similitude se retrouve jusque dans la robe de la dame, qui était bleu clair aussi !

Le général devint tout rouge ; Kolia, non moins confus que son père, prit sa tête à deux mains ; Ptitzine se détourna par un brusque mouvement. Seul Ferdychtchenko continua à rire. Quant à Gania, inutile de dire que, depuis le commencement de cette conversation, il était au supplice.

— Je vous assure, balbutia Ardalion Alexandrovitch, — que la même chose m’est arrivée, à moi aussi…

— Papa a eu, en effet, maille à partir avec mistress Schmidt, l’institutrice des Biélokonsky, affirma hautement Kolia, — je m’en souviens !

— Comment ! Voilà une coïncidence étrange ! Deux histoires absolument identiques dans tous leurs détails seraient arrivées aux deux bouts de l’Europe ! poursuivit impitoyablement Nastasia Philippovna : — je vous enverrai l’Indépendance belge !

— Mais notez, répliqua le général, — que mon aventure a eu lieu deux ans plus tôt…

— Ah ! voilà, cela fait une différence, reprit la visiteuse, qui riait aux larmes.

— Papa, je désirerais vous dire deux mots en particulier, fit Gania d’une voix tremblante, et machinalement il saisit son père par l’épaule. La haine la plus profonde se révélait dans le regard du jeune homme.