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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/184

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de sa part, cette conjecture est purement gratuite, vu qu’il n’a jamais été question de rien de semblable entre nous) ! Il y a longtemps, batuchka, que cela m’exaspère, et je veux faire fortune. Une fois riche, sachez-le, je serai un homme original au plus haut degré. Ce qu’il y a de plus vil et de plus haïssable dans l’argent, c’est qu’il donne même des talents. Et il en donnera jusqu’à la fin du monde. Vous direz que tout cela est de l’enfantillage ou de la poésie, — eh bien, ce n’en sera que plus amusant pour moi, mais l’affaire se fera. J’irai jusqu’au bout. Rira bien qui rira le dernier ! Pourquoi Épantchine m’outrage-t-il ainsi ? Par méchanceté ? Pas du tout. Simplement parce que je suis un zéro social. Eh bien, mais alors… Assez causé pourtant, Kolia a déjà montré deux fois son nez, c’est-à-dire que le dîner vous attend. Moi, je sors. Je viendrai quelquefois vous voir. Vous ne serez pas mal chez nous ; à présent on va vous considérer comme un membre de la famille. Mais faites attention, ne me trahissez pas. Il me semble que vous et moi nous serons ou amis ou ennemis. Dites-moi, prince, si tantôt je vous avais baisé la main (comme j’étais sincèrement disposé à le faire), ne pensez-vous pas qu’après cela je serais devenu votre ennemi ?

Muichkine réfléchit un instant, puis se mit à rire.

— Vous le seriez devenu certainement, répondit-il, — mais pas pour toujours ; plus tard cela aurait été plus fort que vous, vous m’auriez pardonné.

— Eh ! Mais avec vous il faut être plus circonspect. Qui sait ? vous êtes peut-être mon ennemi ? À propos ; ha, ha, ha ! J’allais oublier de vous le demander : j’ai cru m’apercevoir que Nastasia Philippovna vous plaît beaucoup ; est-ce vrai, dites ?

— Oui… elle me plaît.

— Vous êtes amoureux d’elle ?

— N-non.

— Il est devenu tout rouge et il souffre. Allons, c’est bien, je ne rirai pas ; au revoir. Mais, vous savez, c’est une femme