XII
Le prince n’eut pas loin à aller. Kolia le mena dans un café de la Litéinaïa. Au rez-de-chaussée de cet établissement, dans une petite pièce à droite, Ardalion Alexandrovitch, installé comme un vieil habitué, était assis devant une bouteille et avait en main l’Indépendance belge. Il attendait le prince ; à peine l’eut-il vu entrer, que, laissant là son journal, il commença une explication animée et verbeuse où, du reste, Muichkine ne comprit presque rien, car le général était déjà pas mal dans les vignes.
— Je n’ai pas dix roubles, interrompit le prince, — mais en voici vingt-cinq, changez ce billet et rendez-moi quinze roubles, parce que, autrement, je resterais moi-même sans un groch.
— Oh ! certainement, et soyez sûr que cela va être fait tout de suite…
— En outre, j’ai une prière à vous adresser, général. Vous n’avez jamais été chez Nastasia Philippovna ?
Ardalion Alexandrovitch se rengorgea d’un air fat.
— Moi ? je n’ai pas été chez elle ? C’est à moi que vous dites cela ? Plusieurs fois, mon cher, plusieurs fois ! fit-il avec une ironie triomphante : — mais, à la fin, j’ai spontanément cessé de la voir, parce que je n’entends pas prêter les mains à une alliance inconvenante. Vous l’avez vu vous-même, vous en avez été témoin ce matin : j’ai fait tout ce que pouvait faire un père, — mais un père doux et indulgent ; à présent va se montrer un père d’un autre genre, et alors nous verrons si un vieux militaire qui a bien mérité de sa patrie triomphera de l’intrigue, ou si une lorette éhontée entrera dans une noble famille.