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dit le prince, — ne pourriez-vous pas me rendre un service ? Il faut absolument que j’aille chez Nastasia Philippovna. J’avais prié tantôt Ardalion Alexandrovitch de m’y conduire, mais voilà qu’il s’est endormi. Servez-moi de guide, car je ne connais pas le chemin. Du reste, je sais l’adresse : c’est près du Grand Théâtre, maison Mytovtzoff.

— Nastasia Philippovna ? Mais elle n’a jamais demeuré là et mon père n’est même jamais allé chez elle, si vous voulez le savoir ; il est étrange que vous vous en soyez rapporté à lui. Elle habite dans le voisinage de la rue Wladimir, aux Cinq-Coins, c’est beaucoup plus près d’ici. Vous y allez tout de suite ? Il est maintenant neuf heures et demie. Soit, je vais vous conduire.

Kolia et le prince partirent aussitôt. Hélas ! ce dernier n’avait pas même de quoi prendre un fiacre ; ils durent aller à pied.

— J’aurais voulu vous faire faire la connaissance d’Hippolyte, dit Kolia, — c’est le fils aîné de la dame que vous venez de voir, et il était dans la pièce voisine ; il est malade, toute la journée il est resté couché. Mais il est fort étrange, c’est une vraie sensitive, et j’ai pensé qu’il se trouverait gêné en votre présence, vu que vous êtes arrivé dans un moment… Moi, cela me confusionne moins que lui, parce que moi, c’est mon père, tandis que lui, c’est sa mère ; cela fait une différence : ce qui déshonore une femme n’entache pas l’honneur d’un homme. Du reste, l’opinion publique a peut-être tort de condamner dans un sexe ce qu’elle excuse dans l’autre. Hippolyte est un garçon magnifiquement doué, mais il y a des préjugés dont il est l’esclave.

— Il est phthisique, dites-vous ?

— Oui, à ce qu’il paraît, le mieux pour lui serait de mourir le plus tôt possible. Certainement moi, à sa place, j’appellerais la mort de tous mes vœux. Le sort de ses frères et sœurs lui fait peine, ce sont les enfants que vous avez vus. Si c’était possible, si nous avions seulement de l’argent, lui et moi nous quitterions nos familles et nous