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— C’est un cas psychologique et non une action, observa Afanase Ivanovitch.

— Et la servante ? demanda Nastasia Philippovna sans cacher son violent dégoût.

— La servante, naturellement, a été chassée dès le lendemain. C’est une maison où on ne plaisante pas.

— Et vous l’avez laissé mettre à la porte ?

— Voilà qui est exquis ! Fallait-il pas que j’allasse me dénoncer ? ricana Ferdychtchenko, quelque peu déconcerté d’ailleurs, car il ne pouvait s’empêcher de remarquer l’impression très-désagréable que son récit avait produite sur tous les auditeurs.

— Que c’est sale ! s’exclama Nastasia Philippovna,

— Bah ! vous voulez qu’un homme vous raconte la plus vilaine action de sa vie, et vous exigez par-dessus le marché qu’elle ait de l’éclat ! Les actions les plus vilaines sont toujours fort sales, Nastasia Philippovna, nous allons tout à l’heure être édifiés à ce sujet en entendant Ivan Pétrovitch. D’ailleurs, combien y en a-t-il qui brillent d’un éclat extérieur et qui, ayant une voiture, voudraient à cause de cela passer pour des vertus ? Des gens qui roulent carrosse, il n’en manque pas… Et par quels moyens…

En un mot, Ferdychtchenko s’était tout d’un coup fâché, et, dans son irritation, il s’oubliait, dépassait la mesure ; son visage même avait pris une expression grimaçante. Quelque étrange que cela soit, il avait très-probablement compté que son récit obtiendrait un tout autre succès. Sa « jactance de mauvais ton », comme disait Totzky, lui faisait fort souvent commettre de ces « bévues ».

Tremblante de colère, Nastasia Philippovna regarda fixement Ferdychtchenko ; celui-ci fut comme glacé de crainte et se tut à l’instant même : il était allé trop loin.

— Si on en restait là ? demanda Afanase Ivanovitch.

— C’est mon tour, mais je profiterai de la faculté laissée à tout le monde et je ne raconterai rien, dit résolument Ptitzine.

— Vous ne voulez pas ?