Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prince comme à un fils, et qu’elle s’était mise en frais de gentillesses pour Aglaé ; ce que voyant, Ivan Fédorovitch crut devoir pendant quelque temps accentuer son attitude d’homme positif.

Mais cette agréable disposition d’esprit ne dura guère. Au bout de deux semaines s’effectua un brusque revirement, la mine d’Élisabeth Prokofievna redevint grincheuse, et le général, après avoir plusieurs fois haussé les épaules, dut encore se résigner à « la glace du silence ». Le fait est que quinze jours auparavant il avait reçu sous main un avis assez obscur dans son laconisme, mais en revanche parfaitement exact : on lui mandait qu’après s’être enfuie à Moscou, Nastasia Philippovna y avait été découverte par Rogojine ; ensuite elle avait de nouveau disparu et il l’avait encore retrouvée ; finalement elle s’était presque engagée à l’épouser. Et voilà que deux semaines plus tard une nouvelle stupéfiante parvenait à Son Excellence : pour la troisième fois Nastasia Philippovna s’était éclipsée ; maintenant elle se cachait quelque part en province, et, de son côté, le prince Muichkine avait aussi disparu de Moscou, laissant le soin de toutes ses affaires à Salazkine. « Est-il parti avec elle ou pour la rejoindre ? on ne le sait pas, mais il y a là du louche », acheva le général. Ces informations ne s’accordaient que trop bien avec celles qui avaient été transmises aussi à Élisabeth Prokofievna. Bref, deux mois après le départ du prince, on avait presque complètement cessé de parler de lui à Pétersbourg, et dans la maison d’Ivan Fédorovitch « la glace du silence » n’était plus rompue. Les jeunes filles, toutefois, ne laissaient pas d’être renseignées, grâce à Barbara Ardalionovna.

Pour en finir avec ces bruits et ces nouvelles, ajoutons qu’au printemps beaucoup de changements se produisirent chez les Épantchine, en sorte qu’il leur aurait été difficile de ne pas oublier le prince, qui lui-même ne se rappelait nullement à leur attention. Dans le cours de l’hiver on résolut enfin d’aller passer l’été à l’étranger. On, c’était Élisabeth Prokofievna et ses filles : le général, bien entendu, jugeait son