Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

temps trop précieux pour se permettre une « vaine distraction ». Le voyage fut décidé sur les instances réitérées des demoiselles : elles étaient persuadées que leurs parents ne voulaient pas les emmener à l’étranger, parce qu’ils n’avaient en tête que de leur trouver des maris. Peut-être les parents pensèrent-ils de leur côté que les épouseurs se rencontrent partout et que, loin de gâter les affaires, ce déplacement pourrait au contraire les arranger. Disons en passant qu’il n’était plus question du mariage de Totzky avec Alexandra Ivanovna : les pourparlers que le lecteur connaît n’avaient été suivis d’aucune demande formelle de la part d’Afanase Ivanovitch. L’avortement de l’union projetée remplit de joie Élisabeth Prokofievna ; par contre, son mari s’en consola difficilement. Peu après, le général apprit qu’une Française de la haute société, une marquise légitimiste, avait fait la conquête de Totzky : ce dernier était sur le point d’épouser la belle étrangère, qui allait l’emmener à Paris et de là en Bretagne. « Allons, c’est un homme à la mer », décida Ivan Fédorovitch.

Tandis que les dames Épantchine se disposaient à partir pour l’étranger l’été suivant, une circonstance survint tout à coup qui changea de nouveau la face des choses, et, à la grande satisfaction des parents, entraîna l’ajournement du voyage. À Pétersbourg arriva, venant de Moscou, un certain prince Chtch…, homme connu, du reste, et connu de la façon la plus honorable. C’était un de ces honnêtes et modestes pionniers du progrès, comme on en a vu dans ces derniers temps, qui désirent sincèrement se rendre utiles, travaillent sans cesse, et se distinguent par une faculté précieuse, celle de trouver toujours quelque chose à faire. Sans se mettre en vedette, sans se mêler aux luttes violentes et stériles des partis, sans se croire une personnalité de premier ordre, le prince ne laissait pas de comprendre très-nettement les besoins de l’époque contemporaine. Il était d’abord entré au service, ensuite il avait figuré dans les états provinciaux ; en dehors de cela, il collaborait, en qualité de membre