Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous avez déjà livré cette affaire à la publicité, pourquoi donc vous êtes-vous tant formalisés tout à l’heure, quand j’ai commencé à en parler devant mes amis ?

— Enfin ! murmura Élisabeth Prokofievna indignée. Lébédeff n’y tint plus ; en proie à une sorte de fièvre, il se faufila brusquement parmi les chaises.

— Et même, prince, cria-t-il, — vous oubliez que si vous avez consenti à les recevoir et à les entendre, c’est uniquement par un effet de votre bon cœur qui n’a pas son pareil, car ils n’avaient nullement le droit d’exiger cela, d’autant plus que vous aviez déjà confié cette affaire à Gabriel Ardalionovitch, ce qui a encore été une immense bonté de votre part. Vous oubliez aussi, excellentissime prince, qu’ayant en ce moment chez vous vos amis, une société d’élite, vous ne pouvez sacrifier une telle compagnie pour ces messieurs, et qu’il ne dépend que de vous de les faire jeter tous à la porte immédiatement. Comme maître de la maison, ce serait même avec le plus grand plaisir que je…

— Parfaitement juste ! approuva bruyamment le général Ivolguine.

— Assez, Lébédeff, assez, assez… commença le prince, mais une clameur d’indignation couvrit ses paroles.

— Non, excusez, prince, excusez, maintenant cela ne suffit plus ! cria le neveu de Lébédeff, dont la voix domina toutes les autres : — il faut à présent poser la question avec netteté, car il est clair qu’on ne la comprend pas. On fait intervenir ici la chicane juridique, et, en se fondant sur cette chicane, on menace de nous mettre à la porte ! Vraiment, prince, nous croyez-vous assez bêtes pour ne pas comprendre nous-mêmes que notre affaire n’est nullement juridique, et qu’à considérer la chose au point de vue légal nous n’avons pas le droit de vous réclamer un rouble ? Mais nous savons aussi que, si le droit positif est contre nous, en revanche, nous avons de notre côté le droit humain, le droit naturel, le droit du bon sens et de la conscience, dont les prescriptions, lors même qu’elles ne figurent pas dans les misérables