Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/412

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ah ! que faire maintenant de lui ? s’écria-t-elle toute angoissée, et elle le fit asseoir dans un fauteuil.

Une petite larme brillait sur la joue de la générale. À cette vue, Hippolyte resta comme frappé de stupeur ; puis il allongea timidement le bras vers le visage d’Élisabeth Prokofievna, toucha avec le doigt cette petite larme, et sourit d’un sourire enfantin.

— Je… vous… commença-t-il joyeusement, — vous ne savez pas comme je vous… il me parlait toujours de vous avec un tel enthousiasme, tenez, lui, Kolia… j’aime son enthousiasme. Je ne le pervertissais pas ! Seulement, lui aussi je le quitterai… je voulais les quitter tous, tous, — mais parmi eux, il n’y en avait aucun, aucun… Je voulais être un homme d’action, j’avais le droit… Oh ! que de choses je voulais ! Maintenant, je ne veux plus rien, je renonce à toute volonté, je me suis juré de ne plus rien vouloir ; qu’ils cherchent sans moi la vérité ! Oui, la nature est moqueuse ! Pourquoi, continua-t-il avec une chaleur soudaine, — pourquoi crée-t-elle les meilleurs êtres en vue de se moquer d’eux ensuite ? Le seul être qui sur la terre ait été reconnu parfait, la nature, en le montrant aux hommes, lui a donné pour mission de dire des choses qui ont fait couler des torrents de sang à noyer l’humanité tout entière, si ce sang avait été versé en une seule fois ! Oh ! il vaut mieux que je meure ! Moi aussi je dirais quelque affreux mensonge, la nature arrangerait ainsi les choses !… Je n’ai dépravé personne… Je voulais vivre pour le bonheur de tous les hommes, pour la recherche et la vulgarisation de la vérité… Je regardais par la fenêtre le mur de la maison Meyer, et je me disais que je n’aurais qu’à parler pendant un quart d’heure pour convaincre tout le monde, tout le monde ; or voici qu’une fois dans ma vie je suis entré en rapport… avec vous, sinon avec la foule ! Eh bien, qu’en est-il résulté ? Rien ! il en est résulté que vous me méprisez ! Donc, je suis un imbécile, donc je suis inutile, donc il est temps que je disparaisse ! Et je n’aurai réussi à laisser aucun souvenir ! Pas un son, pas