Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/411

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savez. Je me disais encore cela la semaine passée en m’éveillant la nuit… Savez-vous de quoi vous avez le plus peur ? Vous craignez par-dessus tout notre sincérité, quoique vous nous méprisiez ! C’est aussi une idée qui m’est venue cette nuit-là… Vous croyez que j’avais l’intention de me moquer de vous tout à l’heure, Élisabeth Prokofievna ? Non, toute pensée de moquerie était loin de mon esprit, je ne voulais que faire votre éloge… Kolia m’a dit que le prince vous appelait un enfant… c’est bien… Mais, voyons… j’avais encore quelque chose à dire…

Il couvrit son visage de ses mains et recueillit ses idées.

— Voici : tantôt, quand vous avez voulu vous en aller, j’ai pensé tout d’un coup : Ces gens qui sont là, je ne les verrai plus jamais, plus jamais ! Et c’est aussi la dernière fois que je vois des arbres : désormais je n’aurai plus sous les yeux qu’un mur de briques rouges, le mur de la maison Meyer… vis-à-vis de ma fenêtre… eh bien, dis-leur tout cela… essaye de le leur dire ; voilà une belle jeune fille… tu es un mort, présente-toi comme tel, dis-leur qu’ « un cadavre peut tout dire »… et que la princesse Marie Alexievna ne grondera pas, ha, ha !… Vous ne riez pas ? ajouta-t-il en promenant un regard inquiet autour de lui. — Mais, vous savez, sur mon oreiller il m’est venu bien des idées… vous savez, j’ai acquis la conviction que la nature est très-moqueuse… Tout à l’heure vous disiez que j’étais un athée, mais vous savez que cette nature… Pourquoi riez-vous encore ? Vous êtes bien durs ! fit-il soudain en considérant ses auditeurs avec une expression de reproche attristé : — je n’ai pas perverti Kolia, acheva-t-il d’un ton tout autre, sérieux et convaincu, comme si un souvenir lui revenait à l’esprit.

— Personne, personne ne se moque de toi ici, calme-toi ! dit Élisabeth Prokofievna, douloureusement émue ; — demain un nouveau docteur viendra te voir ; l’autre s’est trompé ; mais assieds-toi, ne reste pas sur tes jambes ! Tu as le délire…