Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/49

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côté et se tourna vers le prince comme un homme impatient de savoir ce qu’on lui veut. Gania, debout dans un coin du cabinet, débrouillait des papiers épars sur un bureau.

— En général, je n’ai pas beaucoup de temps pour faire des connaissances, observa Ivan Fédorovitch, — mais comme vous avez sans doute votre but, je…

— Je me doutais bien, interrompit le prince, — que vous ne manqueriez pas de voir dans ma visite quelque but particulier. Mais je vous assure qu’en dehors du plaisir de faire votre connaissance, aucun motif spécial ne m’amène.

— Certes, le plaisir n’est pas moins grand pour moi, mais on ne peut pas toujours s’amuser ; vous savez, on a aussi des affaires… En outre, jusqu’à présent je ne puis rien découvrir de commun entre nous… aucune cause, pour ainsi dire…

— Il n’y a pas de cause, à coup sûr, et, sans doute, pas grand’chose de commun. Car, si je suis le prince Muichkine et si votre épouse est issue de notre race, ce n’est pas une raison, évidemment ; je le comprends très-bien. Pourtant je n’en ai pas d’autre. Je viens de passer plus de quatre ans à l’étranger, et dans quel état me trouvais-je quand j’ai quitté la Russie ! J’étais presque fou. Alors déjà je ne connaissais rien, et maintenant c’est encore pire. J’ai besoin de bonnes gens ; tenez, j’ai même une affaire et je ne sais à quelle porte frapper. À Berlin déjà je me disais : « Ce sont presque des parents, je m’adresserai d’abord à eux ; peut-être nous serons-nous utiles les uns aux autres, — si ce sont de braves gens. » J’avais entendu dire que vous l’étiez.

— Bien reconnaissant, fit le général surpris ; — permettez-moi de vous demander où vous êtes descendu.

— Je ne suis encore descendu nulle part.

— Alors vous êtes venu directement chez moi au sortir du wagon ? Et… avec vos bagages ?

— Je n’ai pour tout bagage qu’un petit paquet contenant du linge ; habituellement je le porte à la main. J’ai encore le temps de chercher un logement d’ici à ce soir.