Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/111

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« Explication nécessaire » ! Épigraphe : « Après moi le déluge ! »… Fi, le diable m’emporte ! cria-t-il (on aurait dit qu’il venait de se brûler) : — est-il possible que j’aie mis sérieusement une épigraphe si sotte ?… Écoutez, messieurs !… je vous assure que tout cela, au bout du compte, n’est peut-être qu’un tas d’épouvantables bêtises ! Ce sont seulement quelques idées à moi… si vous pensez qu’il y a là… quelque chose de mystérieux ou de… défendu… en un mot…

— Il faudrait lire sans préambule, interrompit Gania.

— Il lanterne ! ajouta un autre.

— C’est beaucoup de paroles, observa Rogojine qui jusqu’alors était resté silencieux.

Hippolyte le regarda tout à coup ; quand leurs yeux se rencontrèrent, Rogojine eut un sourire plein d’amertume et laissa tomber lentement une phrase énigmatique :

— Ce n’est pas la monture qu’il faut à cet objet, mon garçon…

Personne, sans doute, ne comprit ce que Rogojine voulait dire par là, néanmoins, ces mots produisirent une impression assez étrange sur tout le monde ; chacun eut immédiatement la même idée. Sur Hippolyte la phrase de Rogojine fit un effet terrible : il fut pris d’un tressaillement tel que le prince tendit le bras pour le soutenir, et il aurait certainement crié, si la voix ne s’était soudain arrêtée dans son gosier. Pendant toute une minute, il ne put proférer un mot, et, respirant péniblement, ne cessa de regarder Rogojine. À la fin, quelques syllabes sortirent avec effort de sa gorge :

— Ainsi c’est vous… qui êtes venu… vous ?

— Je suis venu ? Comment ? Quoi ? répondit Rogojine qui ne comprenait rien à une pareille question, mais une sorte de rage s’empara tout à coup du malade, ses joues s’empourprèrent et il répliqua avec véhémence :

Vous êtes venu chez moi la semaine passée, la nuit, entre une heure et deux heures du matin, je vous avais fait visite la veille dans la matinée ; c’était vous ! ! Avouez-le, c’était vous ?