Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/114

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« Il faut que je me hâte et que d’ici à demain j’aie terminé toute cette « explication ». Je n’aurai donc pas le temps de relire et de corriger mon travail ; la seconde lecture sera celle que je ferai demain au prince et à deux ou trois personnes que je compte trouver chez lui. Comme il n’y aura pas ici un seul mot de faux, mais que tout sera de la dernière vérité, je suis curieux de savoir quelle impression cela produira sur moi-même, à l’heure et au moment où je me relirai. Du reste, il était parfaitement inutile d’écrire les mots : « dernière vérité » ; si ce n’est pas la peine de vivre quand on n’a plus que quinze jours devant soi, ce n’est pas non plus la peine de mentir pour si peu de temps ; voilà la meilleure preuve que j’écrirai seulement la vérité. (N. B. Ne pas oublier cette idée : à l’heure qu’il est, ne suis-je pas fou, du moins, par moments ? On m’a affirmé que parfois, dans la dernière phase de leur maladie, les phthisiques perdent momentanément la raison. Vérifier cela demain par l’impression que ma lecture produira sur les auditeurs. Ne pas manquer d’éclaircir entièrement cette question ; impossible de rien entreprendre avant d’être fixé là-dessus.)

« Il me semble que je viens d’écrire une terrible sottise ; mais, je l’ai déjà dit, je n’ai pas le temps de corriger ; d’ailleurs, quand même je m’apercevrais que je me contredis toutes les cinq lignes, je me promets de ne pas faire la moindre correction dans ce manuscrit. C’est exprès que je tiens à n’y rien changer : demain, en le lisant, je veux m’assurer que ma pensée suit un cours conforme à la logique, et que je remarque mes fautes. S’il en est ainsi, je pourrai tenir pour exactes toutes les conclusions auxquelles je suis arrivé en raisonnant depuis six mois dans cette chambre ; s’il en est autrement, je saurai que ce n’est qu’un délire.

« Il y a deux mois encore, si j’avais dû, comme à présent, quitter définitivement ma chambre et dire adieu au mur de Meyer, je suis sûr que j’en aurais été triste. Maintenant je ne sens rien, pourtant demain je quitterai pour toujours la chambre et le mur. Ainsi ma conviction que, pour