Aller au contenu

Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il ne manquerait pas d’insister dans ce sens et j’étais sûr que, pour me faire accepter son offre, il me dirait sans détours : « La mort vous sera plus douce à la campagne, parmi les gens et les arbres ; » car c’est ainsi qu’il s’exprime. Mais aujourd’hui il n’a pas prononcé le mot mort ; il a dit : « La vie vous sera plus douce », ce qui pourtant revient à peu près au même pour moi, dans ma position. Je lui ai demandé quel sens il attachait à ces « arbres » dont il parlait toujours, et pourquoi il me les jetait ainsi à la tête. Sa réponse m’a appris une chose qui m’a étonné : moi-même, parait-il, j’aurais dit l’autre soir que j’étais venu à Pavlovsk pour voir une dernière fois des arbres. J’ai répliqué qu’au moment de mourir il était indifférent d’avoir sous les yeux des arbres ou un mur de briques, et que, pour quinze jours, ce n’était pas la peine de faire tant de cérémonies. Le prince n’a pas hésité à le reconnaître, mais, suivant lui, la verdure et l’air pur produiront certainement en moi quelque changement physique ; il pense aussi que mon agitation et mes rêves ne seront plus les mêmes à la campagne, qu’ils deviendront peut-être moins pénibles. Je lui ai fait observer en riant que son langage sentait le matérialisme, à quoi il a répondu avec son sourire habituel qu’il avait toujours été matérialiste. Comme il ne ment jamais, ce n’est pas là une vaine parole. Son sourire est beau, à présent je l’ai bien examiné. Je ne sais si maintenant je l’aime ou ne l’aime pas, je n’ai pas le temps de me casser la tête sur cette question. Je remarque seulement une chose : la haine que je nourrissais contre lui depuis cinq mois s’est éteinte complètement dans ces dernières semaines. Qui sait ? peut-être suis-je allé à Pavlovsk surtout pour le voir. Mais… pourquoi ai-je alors quitté ma chambre ? Un condamné à mort ne doit pas bouger de son coin, et si maintenant je n’avais pas pris une résolution définitive, si, au contraire, j’étais décidé à attendre jusqu’à la dernière heure, certes, je ne quitterais ma chambre pour rien au monde et je n’accepterais pas l’offre d’aller mourir chez le prince, à Pavlovsk.