Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/12

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exprès ou la calomnier, ce qui, du reste, ne tardera pas, acheva Gabriel Ardalionovitch, présumant que son interlocuteur ne manquerait pas de lui demander pourquoi il appelait l’incident d’hier un incident prémédité, et pourquoi on ne tarderait pas à calomnier Nastasia Philippovna. Mais le prince ne fit aucune question de ce genre.

Ce fut spontanément aussi, sans attendre qu’on l’interrogeât, et même avec un empressement étrange, que Gania s’étendit sur le chapitre d’Eugène Pavlovitch. Dans son opinion, ce dernier ne connaissait guère Nastasia Philippovna que pour lui avoir été présenté par quelqu’un sur la promenade, quatre jours auparavant ; tout au plus était-il allé une fois chez elle avec les autres visiteurs de la jeune femme. Quant aux lettres de change, elles n’avaient rien d’impossible : Eugène Pavlovitch possédait une grande fortune sans doute, mais il y avait un certain désordre dans ses affaires. Sur ce curieux sujet Gania tourna court. En ce qui concernait l’incartade commise la veille par Nastasia Philippovna, il se borna à y faire allusion dans la phrase rapportée plus haut. À la fin, Barbara Ardalionovna vint chercher son frère et elle resta une petite minute chez le prince. Sans que celui-ci essayât de la faire parler, elle lui apprit qu’Eugène Pavlovitch passerait à Pétersbourg toute la journée d’aujourd’hui et peut-être encore celle de demain ; que son mari (Ivan Pétrovitch Ptitzine) s’y trouvait aussi, et qu’il y était probablement allé pour les affaires d’Eugène Pavlovitch. « Élisabeth Prokofievna est aujourd’hui d’une humeur d’enfer, ajouta-t-elle en sortant, mais le plus singulier, c’est qu’Aglaé s’est fâchée avec toute sa famille, non-seulement avec son père et sa mère, mais même avec ses deux sœurs : tout cela n’est pas beau. » Après avoir donné, comme par hasard, cette dernière nouvelle qui, pour le prince, était extrêmement significative, Barbara Ardalionovna se retira avec son frère. Quant à l’affaire du « fils de Pavlichtcheff », Ganetchka n’en dit pas mot, peut-être par fausse modestie, peut-être aussi « pour ménager les sentiments du prince ». Ce dernier, néanmoins,