Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/15

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— savez-vous que cela seul rachète déjà bien des choses ?

— Je suis noble, noble, chevaleresquement noble ! confirma Keller attendri ; — mais, vous savez, prince, toute cette noblesse n’existe qu’en rêve, à l’état d’aspiration, pour ainsi dire ; elle ne se montre jamais dans la pratique ! Pour quoi cela ? Je ne puis le comprendre.

— Ne vous désespérez pas. À présent on peut dire, sans crainte de se tromper, que vous m’avez fait connaître par le menu toute votre existence ; du moins, il me semble qu’il est impossible de rien ajouter à ce que vous m’avez raconté, ne le croyez-vous pas ?

— Impossible ? s’écria d’un air de pitié l’ancien sous-lieutenant : — oh ! prince, jusqu’à quel point vous êtes resté suisse dans votre compréhension de l’homme !

— Vraiment, on peut encore y ajouter quelque chose ? demanda le prince avec un étonnement timide. — Eh bien, qu’est-ce que vous attendiez de moi, Keller ? Parlez, je vous prie, pourquoi êtes-vous venu me faire votre confession ?

— Ce que j’attendais de vous ? D’abord, rien que votre bonhomie est déjà agréable à contempler ; c’est un plaisir que de causer avec vous ; je sais, du moins, que j’ai devant moi un personnage très-vertueux, et ensuite… ensuite…

Il semblait embarrassé. Voyant qu’il hésitait à continuer, le prince vint à son secours :

— Vous vouliez peut-être m’emprunter de l’argent ?

Ces mots furent dits très-simplement, d’un ton sérieux et même quelque peu timide.

Keller tressaillit, il fixa brusquement un regard étonné sur le visage du prince et déchargea un grand coup de poing sur la table.

— Eh bien, prince, voilà ce qui me renverse, ce qui me déroute complètement ! Vous êtes d’une bonhomie, d’une innocence que l’âge d’or lui-même n’a pas connue, et en même temps vous lisez dans l’âme des gens comme le plus perspicace des psychologues. Mais permettez, prince, cela a besoin d’explication, parce que je… décidément je m’y