Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/158

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— Tout le monde à la maison : ma mère, mes sœurs, mon père, le prince Chtch…, même votre vilain Kolia ! s’ils ne parlent pas ouvertement, ils n’en pensent pas moins. Je le leur ai dit à tous, je l’ai déclaré en face à ma mère et à mon père. Maman a été malade toute la journée ; le lendemain Alexandra et papa m’ont dit que je ne comprenais pas moi-même les mots dont je me servais. Je leur ai aussitôt répondu que je comprenais tout, tous les mots, que je n’étais plus une petite fille : « il y a deux ans déjà, ai-je ajouté, j’ai lu deux romans de Paul de Kock exprès pour apprendre tout. » En entendant cela, maman a été sur le point de s’évanouir.

Une idée étrange s’offrit à l’esprit du prince. Il fixa sur Aglaé un regard attentif et sourit.

Il avait peine à croire que devant lui se trouvât l’orgueilleuse jeune fille qui jadis lui avait lu avec un tel accent de dédain la lettre de Gabriel Ardalionovitch. Ainsi dans cette altière beauté il y avait peut-être une enfant qui ne comprenait même pas tous les mots ! Le prince n’en revenait pas.

— Vous avez toujours vécu chez vous, Aglaé Ivanovna ? demanda-t-il : — je veux dire, vous n’êtes allée dans aucune école, vous n’avez pas fait votre éducation dans un pensionnat ?

— Je ne suis jamais allée nulle part ; j’ai toujours été tenue à la maison comme en bouteille et je passerai directement de la bouteille au mariage ; pourquoi souriez-vous encore ? Il me semble que vous vous moquez aussi de moi et que vous prenez leur parti, ajouta la jeune fille d’un ton de menace, tandis que son visage se refrognait ; — ne me mettez pas en colère, je suis déjà assez agitée sans cela… je suis sure que vous êtes venu ici avec la conviction que je vous aime et que je vous ai donné un rendez-vous ! acheva-t-elle irritée.

Le fait est qu’hier j’en avais peur, avoua naïvement le prince (il était fort troublé) ; — mais aujourd’hui je suis persuadé que vous…