Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/168

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laquelle se trouvait une table ronde ; il y avait une cheminée, et quantité de fleurs ornaient les fenêtres ; au fond une porte vitrée ouvrait sur le jardin. Adélaïde et Alexandra se montrèrent aussitôt. Lorsqu’elles aperçurent le prince avec leur mère, l’étonnement se manifesta dans le regard des deux jeunes filles.

À la campagne, les demoiselles Épantchine se levaient ordinairement vers neuf heures ; seule Aglaé, depuis deux ou trois jours, avait pris l’habitude de se lever un peu plus tôt, elle allait se promener dans le jardin, non à sept heures, il est vrai, mais à huit ou même plus tard. Élisabeth Prokofievna que divers soucis avaient tenue éveillée toute la nuit s’était levée vers huit heures, exprès pour aller rejoindre sa fille au jardin où elle la croyait déjà, mais elle ne l’y trouva point. Aglaé n’était pas non plus dans sa chambre, la mère fut prise d’inquiétude et réveilla ses deux aînées. On sut par la servante qu’entre six et sept heures Aglaé Ivanovna s’était rendue au parc. Cette nouvelle fantaisie de leur jeune sœur amena un sourire sur les lèvres des demoiselles ; elles firent observer à la maman que si elles allaient à la recherche d’Aglaé dans le parc, celle-ci ne manquerait pas de se fâcher encore : sans doute elle devait être maintenant assise, un livre à la main, sur le banc vert dont elle avait parlé trois jours auparavant et au sujet duquel elle avait failli avoir une dispute avec le prince Chtch… parce que ce dernier ne trouvait pas autrement remarquable le site où était placé ledit banc. Pour plusieurs raisons Élisabeth Prokofievna fut fort effrayée lorsqu’elle surprit sa fille en tête-à-tête avec Muichkine et qu’elle entendit les paroles étranges d’Aglaé, mais, après avoir ramené le prince chez elle, la générale se demanda avec appréhension si elle n’avait pas agi trop précipitamment dans cette circonstance : « Pourquoi donc Aglaé n’aurait-elle pas pu se rencontrer dans le parc avec le prince, en admettant même qu’ils s’y fussent donné rendez-vous au préalable ? »

— Ne croyez pas, prince, dit-elle en se roidissant contre