Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/18

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— Mais qu’est-ce que c’est que ce repentir ? C’est exactement comme moi hier : « Je suis bas, je suis bas » ; ce sont des mots, pas autre chose !

— Ainsi de votre part ce n’étaient que des mots ? je pensais, au contraire…

— Eh bien, tenez, à vous, à vous seul je dirai la vérité, parce que vous pénétrez l’homme : les paroles et le fait, le mensonge et la vérité, chez moi tout cela se mêle et tout cela est parfaitement sincère. La vérité, le fait, c’est que j’éprouve un sincère repentir, croyez-le, ne le croyez pas, je vous le jure. Mais les paroles et les mensonges me sont dictés par une pensée infernale (et toujours présente), l’idée d’attraper les gens et d’utiliser mes larmes de repentir ! Oui, je vous l’assure ! À un autre je ne le dirais pas, — il rirait ou il cracherait ; mais vous, prince, vous jugez humainement.

— Eh bien, voilà mot pour mot ce qu’il m’a dit aussi tout à l’heure ! s’écria le prince, — et vous avez tous les deux l’air de vous vanter ! Vous m’étonnez même, seulement il est plus sincère que vous, car vous faites de cela un véritable métier. Allons, assez, ne prenez pas cette expression désolée, Lébédeff, et ne mettez pas la main sur votre cœur. Est-ce que vous ne me direz pas quelque chose ? Vous n’êtes pas venu pour rien…

Lébédeff se mit à grimacer.

— Je vous ai attendu toute la journée pour vous poser une question ; une fois au moins dans votre vie répondez la vérité de prime abord : avez-vous pris une part quelconque hier à l’incident de la calèche ?

Nouvelles grimaces de Lébédeff ; il commença à rire, à se frotter les mains, à éternuer, mais toujours sans proférer un seul mot de réponse.

— Je vois que vous y avez pris part.

— Mais indirectement, rien qu’indirectement ! Je dis la pure vérité ! Je me suis borné à faire savoir en temps utile à une certaine personne que telle société était réunie chez moi et qu’il s’y trouvait certains personnages.