Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/181

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lui ? reprit Lébédeff de plus en plus onctueux : — il n’y en a pas d’autre à qui on puisse penser, et l’absolue impossibilité de soupçonner qui que ce soit en dehors de monsieur Ferdychtchenko constitue, pour ainsi dire, une nouvelle charge, une troisième preuve contre monsieur Ferdychtchenko ! Car, je le répète, si ce n’est pas lui, qui pourrait-ce être ? À moins de soupçonner monsieur Bourdovsky, hé, hé, hé ?

— Allons donc, c’est absurde !

— Ou enfin le général, hé, hé, hé !

Le prince s’agita impatiemment sur sa couchette.

— Quelle extravagance ! dit-il d’un ton presque irrité.

Assurément c’est de l’extravagance, hé, hé, hé ! Il m’a fait rire, le général ! Tantôt nous sommes allés ensemble à la recherche de Ferdychtchenko chez Vilkine… il faut vous dire que le général a été encore plus saisi que moi quand je l’ai réveillé aussitôt après avoir constaté la perte de mon portefeuille ; je l’ai vu changer de visage, rougir, pâlir, et, finalement, manifester une noble indignation dont la violence m’a même étonné. Il est plein de noblesse, cet homme ! Il ment continuellement, il ne peut pas s’en empêcher, mais c’est un homme doué des sentiments les plus élevés, et avec cela si obtus que son innocence saute aux yeux. Je vous ai dit, très-estimé prince, que j’ai pour lui non pas seulement un faible, mais même de l’affection. Tout à coup il s’arrête au milieu de la rue, déboutonne sa redingote, découvre sa poitrine : « Visite-moi, dit-il, tu as fouillé Keller, pourquoi donc ne me fouilles-tu pas ? La justice l’exige. » Des tremblements agitaient ses bras et ses jambes, il était d’une pâleur effrayante. « Écoute, général, répondis-je en riant : si un autre me disait cela de toi, je me décapiterais incontinent de mes propres mains, et je mettrais ma tête sur un grand plat que je présenterais moi-même à tous les sceptiques : « Vous voyez cette tête, leur dirais-je, eh bien, je réponds de lui sur cette tête qui est la mienne. » Voilà, ajoutai-je, comme je suis prêt à répondre de toi ! » À ces mots, il se jeta dans mes bras, toujours au milieu de la rue, fondit en