Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/195

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lui était apparue en rêve. La même femme sortit du parc et s’arrêta devant le prince, on aurait dit qu’elle l’avait attendu là. Tremblant, il interrompit sa marche ; elle lui saisit la main et la serra avec force. « Non, ce n’est pas une apparition ! »

Et voilà qu’elle se retrouvait enfin face à face avec lui, pour la première fois depuis leur séparation ; elle lui parlait, mais lui la considérait en silence, il avait le cœur si gros, si navré ! Oh ! jamais par la suite il ne put oublier cette rencontre, et toujours il se la rappela avec la même douleur. Là, dans la rue, Nastasia Philippovna, comme une insensée, se mit à genoux devant lui ; il recula effrayé ; elle lui prit la main pour la baiser, et, de même que tantôt dans son rêve, le prince vit des larmes suspendues aux longs cils de la jeune femme.

— Lève-toi, lève-toi ! murmura-t-il d’une voix inquiète en s’efforçant de la relever : — lève-toi vite !

— Tu es heureux ? Heureux ? demanda-t-elle. — Dis-moi seulement un mot, es-tu heureux maintenant ? Aujourd’hui, tout à l’heure ? Tu as été chez elle ? Qu’est-ce qu’elle a dit ?

Elle était toujours agenouillée et ne l’écoutait pas ; les questions se pressaient sur ses lèvres, elle parlait précipitamment, comme si quelqu’un était à sa poursuite.

— Je pars demain, comme tu l’as ordonné. Je n’écrirai plus… Je te vois pour la dernière fois, pour la dernière ! Maintenant c’est bien pour la dernière fois !

— Calme-toi, lève-toi ! dit-il avec désespoir. Elle lui saisit les bras et le contempla avidement.

— Adieu ! fit-elle enfin, puis elle se leva et s’éloigna à la hâte. Le prince vit Rogojine apparaître tout à coup auprès d’elle, la prendre par le bras et l’emmener.

— Attends un peu, prince, cria le marchand, — je suis à toi dans cinq minutes.

Effectivement, cinq minutes après, Rogojine arriva à l’endroit où le prince était resté pour l’attendre.

— Je l’ai mise en voiture, dit-il, — la calèche stationnait