Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/196

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là, au coin, depuis dix heures. Elle savait que tu passerais toute la soirée chez celle-là. Tantôt je lui ai transmis exactement le contenu de la lettre que tu m’as adressée. Elle n’écrira plus à celle-là ; elle l’a promis ; et demain, suivant ton désir, elle quittera Pavlovsk. Elle a voulu te voir une dernière fois, nonobstant ton refus de te rencontrer avec elle ; nous t’avons attendu ici ; tiens, voilà le banc sur lequel nous nous étions assis pour être sûrs de ne pas te manquer quand tu repasserais.

— Elle-même t’a pris avec elle ?

— Eh bien, quoi ? reprit en souriant Rogojine : — j’ai vu ce que je savais déjà. Tu as lu ses lettres ?

— Mais toi, réellement, les as-tu lues ? demanda le prince saisi d’effroi à cette pensée.

— Comment donc ! elle-même me les a montrées toutes. Tu te rappelles ce qu’elle dit du rasoir, hé, hé !

— Elle est folle ! cria Muichkine en se tordant les mains.

— Qui sait ? elle ne l’est peut-être pas, observa à voix basse et comme en aparté Rogojine.

Le prince ne répondit pas.

— Allons, adieu, dit Parfène Séménitch, — moi aussi je pars demain ; ne me garde pas rancune ! Mais, mon ami, ajouta-t-il en se retournant brusquement, — tu n’as pas répondu à sa question ? « Es-tu heureux, oui ou non ? »

— Non, non, non ! s’écria le prince avec l’accent d’une douleur poignante.

Il serait fort que tu dises « oui ! » reprit Rogojine en riant d’un rire sardonique, et il s’en alla sans regarder derrière lui.