QUATRIÈME PARTIE
I
Huit jours s’étaient écoulés depuis l’entrevue du prince et d’Aglaé Épantchine sur le banc vert. Par une belle matinée, vers dix heures et demie, Barbara Ardalionovna Ptitzine qui était sortie pour aller voir des connaissances, revint chez elle dans une disposition d’esprit fort chagrine.
Il y a des gens dont il est difficile de dire quelque chose qui les présente d’emblée sous leur aspect le plus caractéristique ; ce sont ceux qu’on appelle communément les hommes « ordinaires », la « masse » et qui, en effet, constituent l’immense majorité de l’espèce humaine. À cette vaste catégorie appartiennent plusieurs des personnages de notre récit, notamment Barbara Ardalionovna Ptitzine, son mari, monsieur Ptitzine, et Gabriel Ardalionovitch, son frère.
Presque depuis l’adolescence, Gabriel Ardalionovitch avait été tourmenté par le sentiment continuel de sa médiocrité en même temps que par l’envie irrésistible de se convaincre qu’il était un homme supérieur. Plein d’appétits violents, il avait, pour ainsi dire, les nerfs agacés de naissance, et il croyait à la force de ses désirs parce qu’ils étaient impétueux. Sa rage de se distinguer le poussait parfois à risquer le coup de tête le plus inconsidéré, mais toujours au der-