Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tu as été là ? demanda-t-il tout à coup.

— Oui.

— Arrête ! ils crient encore ! Quelle honte ! Et dans un pareil moment, qui plus est !

— Dans un pareil moment, dis-tu ? Le moment présent n’a rien de particulier.

Gania la considéra avec un redoublement d’attention.

— Tu as appris quelque chose ? interrogea-t-il.

— Rien d’inattendu, du moins. J’ai appris que tout cela était vrai. Mon mari a vu plus clair que toi et moi ; ce qu’il avait prédit dès le commencement s’est réalisé. Où est-il ?

— Il est sorti. Qu’est-ce qui s’est réalisé ?

— Le prince est formellement agréé comme prétendu, c’est une affaire terminée. Les aînées me l’ont dit. Aglaé a donné son consentement ; on a renoncé aux cachotteries. (Jusqu’à présent on avait toujours fait de cela un mystère.) Le mariage d’Adélaïde est encore retardé : on veut que les deux noces aient lieu simultanément, le même jour ; voilà de la poésie ! Tiens, tu devrais composer un épithalame, cela vaudrait mieux que de courir ainsi à travers la chambre. La princesse Biélokonsky sera chez eux ce soir, elle est revenue fort à propos ; il y aura du monde. On le présentera à la princesse, quoiqu’il ait déjà fait sa connaissance ; on tient, parait-il, à donner une certaine solennité aux fiançailles. Tout ce qu’on craint, c’est qu’en entrant dans le salon rempli de visiteurs, il ne renverse quelque meuble ou que lui-même ne s’étale sur le parquet ; ces choses-là lui ressemblent.

Gania écouta fort attentivement ce récit, mais, au grand étonnement de sa sœur, la nouvelle qui ruinait ses espérances ne lui causa aucune émotion apparente.

— Eh bien, c’était clair, dit-il après un moment de réflexion : — c’est fini, naturellement ! ajouta le jeune homme en souriant d’un air étrange, tandis que son regard se fixait avec une expression narquoise sur le visage de Varia.